acab
cooper rasha Le nom d’Acab appelle pour moi des aventures à la fois bibliques et maritimes : Acab est un roi d’Israël, un roi terrible ; c’est aussi le nom du capitaine qui, dans le roman Moby Dick de Melville, chasse à travers les océans la baleine blanche. Son nom désigne une violence, il est le signe de la vengeance ; quelque chose de démoniaque pivote entre ses deux syllabes. Qu’est-ce qu’un tel nom vient faire ici ?

Me poster chaque jour à côté de lui, me tenir sous son nom, est devenu un rite. Le temps de fumer une cigarette ouvre une parenthèse ; c’est un moment dégagé de tous les moments, un moment heureux, soustrait à l’utilité. Peut-être un jour arriverai-je à élargir cette parenthèse, à ne plus vivre qu’à travers ce grand vide où ma solitude, en un éclair, s’égale au monde.

En tous cas, être là tous les jours à côté d’Acab est devenu un acte important pour moi : une manifestation discrète de liberté. En me rapprochant de ce nom, en reconnaissant l’éclat d’une telle trace sur un mur, c’est comme si j’exprimais ma solidarité avec lui — comme si, moi aussi, j’avais pu écrire ce mot sur le mur. Comme si j’étais d’accord.
D’accord avec quoi ? Ce qu’il y a de plus solitaire en nous excède la raison. Ce point que notre fantaisie rejoint allume une cohérence qui, sans elle, n’existerait pas.

Il y a quelques jours, en rentrant chez moi, j’ai rouvert Moby Dick. Je suis tombé sur ces phrases, où le capitaine Acab s’exprime : “Comment le prisonnier pourrait-il s’évader, atteindre l’air libre sans percer le mur ? Pour moi, la baleine blanche est le mur, tout près de moi.” (En anglais, on voit bien la proximité entre une baleine — whale — et un mur — wall.)

J’ai donc pensé que ce nom écrit sur un pauvre mur de mon quartier était un appel à percer tous les murs — à renverser ce qui nous limite. À travers le capitaine Acab, c’est de politique dont il s’agit ; et ma solitude, spontanément, s’y est reconnue.
Et puis hier, tandis que j’écrivais ce texte, j’ai tapé sur internet le nom ACAB. J’ai réalisé à quel point ce mot était, en effet, politique ; il signifie, et moi seul sans doute l’ignorais : All Cops Are Bastards, un slogan inventé en Grande-Bretagne durant les grèves de mineurs des années quatre-vingt, et qui aujourd’hui s’écrit comme un défi sur tous les murs du monde.
130126
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